Il a publié très jeune des poèmes et des récits qui lui ont valu en Belgique et en France une reconnaissance précoce. Il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome de 1987 à 1989. Il a reçu en Belgique en 1994 le Grand Prix triennal du roman pour « Marin mon cœur ». Il a été lauréat du Prix des Découvreurs 2004, du prix Rossel 2015 pour son roman « Fraudeur », paru aux éditions de Minuit.
Eugène Savitzkaya est l’un des écrivains belges les plus originaux de sa génération. Poète, romancier, auteur de pièces de théâtre ou de portraits de peintres, c’est un magnifique écrivain, un poète rare, dont la langue matérielle et concrète ouvre pourtant sur une féérie singulière. Une œuvre comme une forêt, avec la rude écorce et le lutin. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas lu, ils ne savent pas ce qu’ils ratent !
Fils d'un russe et d'une polonaise immigrés en Belgique après la guerre, Eugène Savitzkaya est né à Liège en 1955. Après avoir abandonné très tôt ses études, il publie à dix-neuf ans un recueil de poésie, Les Lieux de la douleur (1974). Puis, après trois autres ouvrages de poésie, paraît son premier roman, Mentir (1977, éd. de Minuit). Avec une duplicité très maîtrisée, Savitzkaya avoue autant qu'il masque les sentiments d'amour et de haine d'un fils pour sa mère. Tragédie et comédie, réalités et mensonges se mêlent, et, à la fin, les mots seuls semblent constituer une vérité durable, une certitude. Dans Un jeune homme trop gros (1978), Savitzkaya écrit une biographie fictive d'Elvis Presley, qu'il transforme en véritable héros de légende, ne retenant de sa vie que des emblèmes : l'argent, la gloire, la boulimie, la puérilité. Très vite, la description volontairement neutre de Savitzkaya inquiète, et la vie qu'il relate apparaît comme une fantasmagorie monstrueuse, l'aveu honteux d'un rêve d'enfant. La Traversée de l'Afrique (1979) met également en scène un rêve propre à l'enfance, celui du voyage vers un pays lointain, un ailleurs imaginaire. Cet étrange récit d’exil relate aussi la perte d'une innocence, la leçon du premier échec. Dans les deux romans qui suivront, La Disparition de maman (1982) et Les morts sentent bon (1984), Savitzkaya accentuera encore davantage cette voix-là, sortie tout droit de la solitude peuplée de l'enfance, en une sorte de soliloque ou de babil. La bouche, qui est au centre de nombreux récits de Savitzkaya, symbolise bien l'ambiguïté de l'enfance, où parler et manger se confondent dans un même mouvement de capture du monde. Chez Savitzkaya, la bouche des enfants crache des animaux fabuleux. Son univers est profus, cinétique, constamment remodelé par un délire des signes qui n'est pas sans évoquer certains tableaux de Bosch, qui lui a inspiré un livre (1994). En même temps, il faut le souligner, ce n'est jamais depuis un « ailleurs » que l'écrivain nous parle, mais bien depuis un « ici et maintenant » que son écriture porte à effervescence : à preuve les récits qui évoquent son tout jeune fils (Marin mon cœur, 1992) et son environnement familier (En vie, 1995).
EUGÈNE SAVITZKAYA - Écrivain Belge de langue française, né à Liège en 1955
Au contact des objets les plus humbles, à partir des gestes les plus simples, les plus proches de nous, on peut penser le monde !
Extraits d'entretiens d’Eugène Savitzkaya à propos de "En vie"
Quand je parle des gestes les plus quotidiens, ce n’est pas parce que ces gestes-là me paraissent exemplaires. Ce sont des gestes qu’il faut de toute manière absolument faire. Mais parce qu’à partir de gestes très simples, très proches, on peut penser le monde
Je suis surpris de l’ennui qui habite les gens, comme s’ils étaient en attente d’événements extraordinaires, qui pourraient arriver dans leur existence alors même que cette existence se passe. Ne pas tenir compte de cette simple vie, ne pas s’en servir comme d’un matériau revient à ne pas considérer sa vie entière. Toute une vie est perdue là, simplement parce qu’on l’a négligée, considérée comme une chose sans importance. Comme rien. En écrivant « En vie », j’ai cherché à parler de cette vie qui passait.
Le bonheur est une recherche qui échappe à toute morale. Dans ce roman En vie, sans doute, des gens ont-ils pu y trouver une sorte de morale. Pour moi ce n’était pas le sujet. Je vivais dans une maison qui avait telle et telle organisation. Je crois qu’il faut en parler. Chacun vit avec une certaine organisation vitale. Ce n’est pas forcément dans une maison ou avec une famille. Mais il y a une mobilisation obligatoire pour vivre. Vouloir vivre, c’est organiser sa vie ; sinon on ne peut pas y parvenir. Mon cadre, c’était donc cette maison que j’habite. J’ai cherché à la montrer, à la dire et à la décrire dans ce livre. Sans vouloir en faire quelque chose d’exemplaire ou en tirer un manuel de savoir vivre.
Comment peut-on vivre sans adorer, sans aimer ? C’est impossible. Dans la religion, je suis très attiré par la louange. Je pense qu’il faut célébrer ce qui est près de nous. Il faut simplement dire que ce n’est pas rien, et accorder une importance, à chaque chose, même dérisoire. Il faut en célébrer le moment, c’est d’une importance capitale.
Je n’aurais rien à dire si je ne parlais qu’en mon nom. Je parle en faisant partie de l’espèce humaine. J’ai une sorte de devoir de donner par l’écriture, puisque j’utilise l’un des patrimoines communs : la langue. Et que je me dois de la retourner aux autres. Il y a une sorte de devoir dans ce geste, non pas de clarté à tout prix, mais d’une justesse. Je dois rendre cette parole que je m’accapare – que je transforme en phrase – parce que la langue appartient à tout le monde.
à propos de « EN VIE » de Eugène Savitzkaya - 1995 - éditions de minuit
« En vie » offre, derrière une description claire et limpide des gestes les plus banals, un questionnement ontologique et une méditation sur le temps qui passe.
Bibliographie
* Les Lieux de la douleur, poèmes (1972).
* Le Coeur de schiste, poèmes (1974).
* Rue obscure, poèmes, avec Jacques Izoard (1975).
* Mongolie, plaine sale, poèmes (Seghers, 1976).
* L’Empire, poèmes (Atelier de l’Agneau, 1976).
* Mentir, roman (Minuit, 1977).
* Un jeune homme trop gros, roman (Minuit, 1978).
* La Traversée de l’Afrique, roman (Minuit, 1979).
* Plaisirs solitaires, poèmes, avec Jacques Izoard (1979).
* Les Couleurs de boucherie, poèmes (1980, rééd 2019).
* Aigle et poisson, poèmes (1982).
* La Disparition de Maman, roman (Minuit, 1982).
* Les Morts sentent bon, roman (Minuit, 1984).
* Veulerie, poèmes (Pessin / Verbe et l’empreinte, 1984).
* Quatorze cataclysmes (Le Temps qu’il fait, 1985).
* Bufo bufo bufo, poèmes (Minuit, 1986).
* Capolican. Un secret de fabrication, récit (1986).
* Alain Le Bras, portrait en pied (1987).
* Sang de chien, roman (Minuit, 1989).
* La Folie originelle, théâtre (Minuit, 1991).
* L’Été : papillons, orties, citrons et mouches (1991).
* Marin mon coeur, roman (Minuit, 1992).
* Portrait de famille (Librairie Tropisme, 1992).
* Alain Le Bras, avec Philippe Bordes (L’Atalante, 1993).
* Mongolie, plaine sale suivi de L’Empire et de Rue Obscure (Labor, 1993).
* Jérôme Bosch (Flohic, 1994).
* En vie, roman (Minuit, 1995).
* Cochon farci, poèmes (Minuit, 1996).
* Saperlotte ! Jérome Bosch (Flohic, 1997).
* Les Règles de solitude (Solitude, 1997).
* Cenotaphe, poèmes (Atelier de l’Agneau, 1998, 2003).
* Mamouze, poèmes (Atelier de l’Agneau, 1998, 2005).
* Fou civil (Flohic, 1999. Argol, 2014).
* Aux prises avec la vie (Le Fram, 2002).
* Célébration d’un mariage improbable et illimité, (2002).
* Technique tectonique, sur Nicolas Kozakis (2003).
* Exquise Louise, roman (Minuit, 2003).
* Fou trop poli, roman (Minuit, 2005).
* Nouba (Yellow now, 2007).
* Le Lait de l'ânesse (Didier Devillez Editeur, 2010).
* Propre à rien, nouvelles 1977-1995 (2010).
* Lettres à Eugène. Correspondance 1977-1987, avec Hervé Guibert (Gallimard, 2013).
* Flânant, (Didier Devillez Editeur, 2014).
* Fraudeur, roman (Minuit, 2015).
* A la cyprine, poèmes (Minuit, 2015).
* Sister (Editions L'Oeil d'or, 2017).
* Ode au paillasson (Le Cadran ligné, 2019).
* Au pays des poules aux oeufs d'or (Minuit, 2020).