Témoignages / Presse
témoignages : Nicolas Rochette
J'avais lu Les Carnets du Sous-Sol de Dostoïevski très jeune mais j'étais complètement passé à côté. Je l'ai relu à la fin de l'été 2023 suite à la proposition de Laurent, et j'ai été soufflé par sa puissance et sa pertinence.
Dans ma pratique d'auteur, il m'arrive souvent de prendre une posture «d'avocat du diable», je m'astreins souvent à écrire ce qui m'est contraire. Évidemment alors, j'ai été touché par cette expérience philosophique de la souffrance que déploie Dostoïevski. Dire à notre (ou à la sienne, ou à toutes) époque – qui prône un bien-être perpétuel et bon marché – que les humains ont besoin de ressentir la douleur autant que le plaisir me semble nécessaire. Les Carnets Du Sous-Sol est un texte qui rend du relief à notre monde dans lequel tout doit se revendiquer comme étant moralement bon pour exister. Le narrateur de ces « carnets », à contre-courant de tous, est en quête d'une vérité sans aucune concession, et j'aime les quêtes de vérité. Aussi vaines soient-elles. Ce texte, très individualiste, a également pour moi une portée politique qui traite de la nature secrète d'une société. Notamment en interrogeant la notion de « civilisation » : tous les régimes se prétendent « civilisés » tout en usant de moyens sanglants « justes », contre des peuples soi-disant « barbares »... Il parle de l'amour secret des hommes pour la guerre. Bref, ce texte est important.
La mise en scène de Laurent de Richemond est incroyablement belle. Impitoyablement belle je dirais plutôt. C'est un spectacle extrêmement doux et tranquille, pourtant quelque chose de terrible s'y raconte et vient broyer nos certitudes. Je crois que c'est la première fois qu'un texte que je travaille au plateau me percute autant personnellement. Certaines phrases me hantent, et me hanteront à jamais.
En tant que comédien, de l'intérieur, il y a pour moi un mystère à porter au plateau, un secret jouissif à vivre à trois avec et parfois contre le public. C'est un parcours globalement silencieux pour Laetitia Langlet et moi, chacun de nos actes y est nécessaire : la sensation, la recherche de cette nécessité est très intense intérieurement. Notre trio reste insaisissable de la même manière que le narrateur - qui tout en défendant la méchanceté et le mal finira par admettre qu'il ne croit en rien de ce qu'il a dit et qu'il n'a même jamais réussi à être méchant. Je dis un trio, mais c'est plutôt un homme lié à un duo. Un Diogène fou qui se serait enfermé dans une cave avec un couple directement venu de la préhistoire (ou du futur ?). Laetitia Langlet et moi-même sommes principalement muets dans le spectacle face à ce bavard insatiable. Nous portons, par la nudité et le silence, une forme d'innocence. Pour autant, il n'y a pas d'opposition entre le duo et le narrateur, mais une forme de complicité échappant à toute relation sociale connue.
Le spectacle est une sorte de rituel qui pourrait se répéter depuis des années. Ce rite quotidien est la quête vaine d'une justesse, d'une vérité qui échappe encore au narrateur et qui lui échappera toujours.
Nicolas Rochette
Nicolas Rochette - acteur, créateur lumière
témoignage